Musée de Libourne : des œuvres décryptées pour les non-voyants

Article du Journal Sud-Ouest par Jean-François Harribey

À l’occasion de la Semaine du handicap, jusqu’au 19 mars, la ville met en ligne, sur son site www.ville-libourne.fr, un CD audio rendant accessibles à tous des œuvres du musée

«Le cordonnier est le plus mal chaussé. » L’adage vaut pour la ville de Libourne qui multiplie les initiatives en faveur des handicapés et investit tous les ans plus de 100 000 euros pour adapter les établissements recevant du public et rendre accessibles la voirie et les espaces publics, mais qui ne parvient toujours pas à équiper l’hôtel de ville d’un ascenseur, ne serait-ce que pour se rendre à la salle des mariages, assister aux délibérations du Conseil municipal ou visiter le musée.

« Il reste toujours à trouver un compromis, raisonnable sur le plan financier, entre la volonté de la mairie de réaliser l’opération et les Bâtiments de France soucieux de préserver ce site classé. Mais on ne désespère pas d’y arriver d’ici à 2015 où s’appliquera la loi sur l’accessibilité des bâtiments publics », précise Philippe Buisson, adjoint au maire.

Ceci dit, la ville qui organise avec le CCAS la Semaine du handicap innove en lançant sur son site www.ville-libourne.fr, un CD audio rendant accessibles à tous, et en particulier aux non-voyants, les œuvres du musée.

Un CD réalisé par le conservateur du musée Thierry Saumier en collaboration avec le GIAA (Groupement des intellectuels aveugles et amblyopes), qui décrypte 15 œuvres (peintures et sculptures) du musée des Beaux-Arts de la ville.

Expérience passionnante

« Issu des grandes idées culturelles de la Révolution française, le musée des Beaux-Arts de Libourne a été voulu, dès sa naissance en 1818, comme encyclopédique et universel. La collection recouvre donc les arts européens, du XIIIe au XXe siècle. Il nous apparaissait ainsi important de respecter cette belle orientation donnée d’emblée aux collections, dans la mise en place du projet qui nous lie aux membres du GIAA. Et c’est pourquoi nous avons retenu, dans un premier temps, 15 pièces, peintures et sculptures parmi les chefs-d’œuvre de la collection, réalisées à des périodes différentes et par des artistes, hommes ou femmes, de divers pays d’Europe », explique Thierry Saumier.

« Ce fut une expérience lourde mais passionnante. Je me suis piqué au jeu, enthousiasmé en redécouvrant des œuvres que je croyais pourtant connaître parfaitement », poursuit-il. « Il a fallu pénétrer dans les tableaux, les décrypter méticuleusement, de bas en haut et de gauche à droite, dans tous les cas de manière très méthodique, en passant en revue les moindres détails, les moindres attitudes, les moindres regards. Analyser la composition, la technique, le dessin, les formes, l’histoire. »

Pour tout le monde

« Ce qui est merveilleux, précise-t-il, c’est que ce travail réalisé pour les handicapés peut servir à tout le monde. La prochaine étape pour le musée consistera sans doute à réaliser des visites audioguidées du musée. Cela peut intéresser tout le monde, les scolaires comme les érudits ou les néophytes. »

Comment, pour un non-voyant, se représenter des couleurs que l’on a jamais vues, imaginer une prairie verte ou un ciel bleu ? « Cela reste une énigme », estime Béatrix Alessandrini, présidente du GIAA, qui a travaillé avec Thierry Saumier à la réalisation du CD. Elle-même a perdu la vue. « Il n’y a pas de réponse à ces questions, affirme-t-elle. Et je suis mal placée pour en parler. Car, personnellement, il me reste des références qui me reviennent en mémoire avec les descriptions offertes, que les aveugles de naissance n’ont pas. Mais ils peuvent se construire une culture, et ça, c’est l’essentiel. La création de ce CD audio constitue vraiment une réussite qui mériterait d’être imitée dans d’autres villes, notamment à Bordeaux. »