Les aveugles victimes du lobbying du droit d’auteur

Les États-Unis et l’Union européenne sont en train de mener bataille pour bloquer un traité qui permettrait aux aveugles et déficients visuels d’accéder plus facilement aux œuvres, grâce à des formats qu’il leur est possible de consulter.

Depuis 2008, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle s’interroge sur ces questions, mais les avancées sont minces…

À Genève s’achevait, ce 25 juillet, une dernière séance de discussions, où, une fois de plus, la décision a été reportée sine die, au grand dam de Teresa Hackett, directrice des programmes pour l’Electronic Information for Libraries. « Ce n’est pas seulement une question juridique. Pour nous, cela implique la morale. Cela touche aux droits de l’Homme », explique-t-elle.

Près de 256 millions de personnes sont atteintes de déficience visuelle dans les pays en voie de développement, estime l’Organisation mondiale de la Santé. Dans de nombreux pays riches, les personnes peuvent toujours profiter d’audiobooks ou d’autres traduites en braille, voire plus simplement imprimées avec de grosses polices de caractères. Or, selon l’Union européenne, seuls 5 % des ouvrages produits sont disponibles dans des formats adaptés aux personnes handicapées, au sein des pays riches.

Maintenant, la situation est bien pire pour les pays pauvres, puisqu’ils ne peuvent pas profiter de la version traduite de ces 5 % d’œuvres, sans l’autorisation de l’ayant droit. Et, souligne le Guardian, peu de gouvernements de pays en voie de développement sont parvenus à trouver des accords, laissant ainsi les personnes handicapées sans lecture possible.

Dan Pescod, du Royal National Institute of Blind People, explique que l’organisation espagnole Once, dispose de plus de 100.000 livres traduits, qu’ils souhaiteraient envoyer dans les pays d’Amérique latine, mais ne le peuvent simplement pas du fait des contraintes exercées par le droit d’auteur.

Chili, Nicaragua, Mexique, Uruguay et Colombie ne disposeraient ainsi que de 9000 textes accessibles ; raison pour laquelle l’OMPI est sollicité…

C’est qu’un traité ouvrirait la voie : les habitants du sud de la planète disposeraient des livres déjà traduits dans des formats adaptés. Des économies également en perspective, en limitant les coûts de traduction… Sauf que le Parlement européen a adopté une résolution en février, invitant à soutenir un traité qui irait dans ce sens, sans aucune répercussion. Et le blocage ne vient pas que de l’UE, mais également des États-Unis. Si l’administration Obama a fait volte-face en regard de ce que celle de Bush avait défendu, les progrès ne sont pas visibles – au moins a-t-on obtenu une sorte d’accord de principe…

C’est que les enjeux pour les maisons d’édition d’Europe et des USA, qui comptent parmi les plus importantes au monde, est gigantesque. Personne n’apprécie trop l’idée d’un traité qui restreindrait l’exercice de leurs droits, et peu d’observateurs pensent que l’administration Obama sera en mesure de les faire changer d’avis. Surtout en période électorale. Les intérêts commerciaux dominent, considère Hackett, qui se montre peu confiant, malgré les appels des différentes organisations et de militants.

Alan Adler, de l’Association of American Publishers, créer une exception au droit d’auteur de cette sorte serait un précédent qui engendrerait trop de contraintes pour les éditeurs. Un lobbying puissant, finalement, qui risque de se maintenir encore longtemps avant de pouvoir être déplacé…

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(via Guardian), Par Nicolas Gary,